S'élevant au-dessus du paysage environnant, les Cahokia Mounds, dans l'Illinois, constituent le plus important établissement précolombien construit au nord du Rio Grande. Les archéologues discutent depuis longtemps du nombre exact de personnes qui ont élu domicile à Cahokia, mais selon des estimations, pas moins de 20 000 personnes auraient habité parmi les centaines de maisons et d'énormes places (dont l'une de la taille de 45 terrains de football) qui surmontaient environ 1 000 tertres. J.-C. Puis, pour des raisons qui ne sont pas entièrement comprises, la civilisation qui a construit de telles structures de terre massives a disparu. En 1350 après JC, la région était en grande partie abandonnée.
La ville qui a disparu il y a environ 700 ans pose une question captivante aux archéologues: qu'est-il arrivé au peuple du Mississippian qui a construit Cahokia? La clé de la résolution de ce mystère est la question moins évidente mais tout aussi importante de l’évolution de la population de la ville du grand tertre.
«Découvrir l'histoire de la population en archéologie a toujours été un peu difficile et indirect», explique AJ White, étudiant diplômé en anthropologie à l'Université de Berkeley. Les chercheurs peuvent étudier l'architecture domestique et estimer le nombre de personnes vivant dans des maisons, ou observer la densité d'objets façonnés tels que des fragments de poterie, ou même compter les sépultures dans des cimetières (le cas échéant). Mais ces méthodes sont des mesures indirectes qui reposent sur des estimations. Ce dont les scientifiques ont vraiment besoin, c'est d'un composé laissé par les humains vivant dans le paysage, ce qui pourrait refléter la taille de la population à mesure qu'elle monte et descend.
Quelque chose comme une molécule spéciale trouvée dans le caca humain.
Moine Mound, la plus grande structure en terre à Cahokia. (Site historique national des monts Cahokia) C'est précisément ce type de biomarqueur qui fait l'objet d'un article récent rédigé par White et ses collègues et publié dans le Journal of Archaeological Science . Les chercheurs ont examiné l'efficacité de la mesure du coprostanol - une molécule de cholestérol partiellement digéré produite dans les intestins humains - afin de mesurer l'évolution de la population de Cahokia. À leur grand plaisir, la quantité de coprostanol extraite de carottes de sédiments prélevées dans le lac Horseshoe, situé à proximité, suit de près les tendances démographiques indiquées par les archives archéologiques.
«Les résultats de Cahokia sont vraiment prometteurs», déclare Elizabeth Arkush, archéologue à l'Université de Pittsburgh. C'est un bon signe pour les propres recherches d'Arkush; Elle est l'un des principaux chercheurs d'un projet en cours visant à utiliser les mêmes marqueurs de selles pour étudier les changements démographiques au Pérou.
Cahokia était un endroit idéal pour commencer, en partie à cause de ses nombreuses études. Les archéologues ont déjà une idée de la façon dont la population a fluctué dans le temps grâce aux vestiges d'architecture et d'artefacts, même s'ils ne peuvent pas déterminer avec précision le nombre de personnes qui y vivent. De plus, les habitants de Cahokia n'avaient pas de porc ou de mouton domestiqués, qui produisent également du coprostanol et pourraient fausser les mesures de la population humaine établies par des scientifiques.
Le groupe de White a prélevé des échantillons dans les carottes de sédiments lacustres et de coprostanol isolé, ainsi que dans un composé dégradant appelé épi-coprostanol. «Chez les humains, le coprostanol est un composant assez important des matières fécales», déclare White. "Il s'agit d'une virgule décimale représentant un pourcentage de la composition totale des selles."
Considérant que le caca humain contient environ 75% d’eau, même une fraction de ce pourcentage fait du coprostanol un élément non négligeable. (C’est également l’un des composés qui dégagent une odeur âcre de fèces.) L’équipe a ensuite comparé les deux sous-produits du cholestérol à une troisième molécule qui existe également dans les déchets humains mais se dégrade à un rythme différent. La combinaison de ces mesures a reflété les changements survenus dans la population de Cahokia au cours de plusieurs siècles et l'examen de plusieurs molécules a permis de réduire les incertitudes résultant des composés dégradants.
L'étude sert de preuve de concept pour tester la méthode fécale dans une région tempérée comme Cahokia. La mesure du coprotanol est une technique relativement nouvelle d’estimation de la taille des populations et les premiers efforts visant à utiliser des biomarqueurs fécaux humains pour étudier les anciens peuplements ont été menés dans des endroits comme la Norvège, où les températures froides aident à préserver les composés. White et ses collègues étaient heureux de constater que les molécules de Cahokia, où les températures sont bien plus élevées, étaient suffisamment bien préservées pour permettre d'estimer le nombre de personnes vivant dans la ville il y a des centaines d'années.
«Je ne vois pas cela comme quelque chose qui remplacera les anciennes méthodes d'estimation de la population, mais qui pourrait plutôt compléter nos connaissances de manière nouvelle, là où les méthodes traditionnelles ne le peuvent pas», déclare White.
La technique a encore beaucoup de problèmes à résoudre. D'une part, le coprostanol ne se dégrade pas à un rythme constant, pour autant que les scientifiques puissent le dire. D'autre part, la quantité de coprostanol qu'un humain produit dépend de son régime alimentaire - bien que White affirme que l'influence du régime alimentaire d'une personne n'est pas tout à fait claire.
«Si quelqu'un voulait juste manger de la viande pendant un mois, puis faire quelques trucs de laboratoire bruts, puis manger du tofu pendant un mois et faire d'autres trucs de laboratoire bruts, ce serait très productif», dit-il. "Mais je ne sais pas si le responsable du laboratoire serait très heureux si je le proposais."
Schéma illustrant la formation, le dépôt et la dégradation de stanols fécaux humains. (AJ White et al.) Des éléments de l'environnement et de la culture humaine peuvent également modifier la quantité de matières fécales rejetée dans les masses d'eau, où les molécules sont préservées dans les sédiments. Si une communauté était située près du lac et entourée de collines, cela pourrait signifier plus de ruissellement dans l'eau et de plus hauts niveaux de biomarqueurs fécaux. D'autre part, si la communauté utilisait du fumier humain comme engrais, il est probable que moins de molécules de coprostanol apparaissent dans l'enregistrement du lac.
Ces considérations sont particulièrement importantes pour Arkush et son équipe, qui s’efforcent d’obtenir des résultats similaires dans les Andes autour du bassin du lac Titicaca, où la présence humaine remonte à environ 5 000 ans avant notre ère. L’histoire de la population de la région est beaucoup plus complexe celui de Cahokia, représentant de nombreuses civilisations et villes. La ville de Tiwanaku fut la principale puissance de la région en 400 après JC, suivie de l’arrivée des Incas vers 1450 et des conquistadors espagnols vers 1500 environ.
Le projet au Pérou a débuté en 2015 et en est toujours à la phase d'analyse en laboratoire, mais l'équipe a réussi à identifier le coprostanol dans les carottes de lacs. Le travail présente un moyen de compléter les mesures antérieures basées sur l'archéologie, comme une entreprise longue et ardue appelée enquête de couverture complète. Dans ces enquêtes, des groupes de personnes marchent en ligne droite, les yeux rivés sur le sol à la recherche d'artefacts, puis enregistrent l'emplacement et la densité de ces artefacts pour créer une carte des anciennes colonies.
«Si vous aimez marcher et faire de la randonnée, c'est une excellente façon de passer vos journées», explique Arkush, mais il peut s'avérer extrêmement difficile de mesurer brièvement les populations nomades qui vivaient dans la région. «S'il s'avère que les stanols suivent la population au fil du temps, cela ouvre de nombreuses opportunités formidables pour comprendre le niveau de la population humaine dans les zones où il est difficile de faire de telles recherches archéologiques», des endroits comme les campements de chasseurs-cueilleurs.
Les biomarqueurs fécaux pourraient également aider les archéologues à comprendre avec quelle intensité ces groupes utilisaient des animaux domestiques tels que les lamas, étant donné que des biomarqueurs uniques dans les excréments d'animaux peuvent également être identifiés. Mais extraire de minuscules molécules de tout cet ancien caca est un long processus.
«Prendre un échantillon de sédiment frais en analysant cela prendrait une semaine», explique Josef Werne, biogéochimiste travaillant également sur le projet Pérou. L’équipe dispose d’une trentaine d’échantillons de chacun des trois lacs de la région (Umayo, Arapa et Orurillo), ce qui se traduit par de nombreuses heures consacrées à la sédimentation dans différentes machines et à l’analyse des résultats.
Même après tout ce travail, de nombreuses variables peuvent compliquer la situation lorsque l’on étudie des biomarqueurs fécaux. Il est à espérer que les résultats finaux au Pérou offriront un nouvel outil permettant d’étudier les flux de population dans la région, plutôt que l’effectif absolu de tout règlement spécifique. Mais à mesure que le catalogue de résidus fécaux s'agrandira, peut-être que les sous-produits de déchets humains nous en diront autant sur les populations historiques que les maisons et les tessons enfouis.
«Je suis prudemment optimiste», déclare Werne. Il reste encore beaucoup à faire avant que l'équipe péruvienne soit prête à publier les résultats, mais si les résultats sont aussi prometteurs que l'étude Cahokia, il pourrait y avoir beaucoup d'anciens caca anciens dans le futur de l'archéologie.
